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Photo du rédacteurBéatrice Bertieaux

Dans l'eau vive des brouillons, l’élan des ratés & des ratures 


J’ai ouvert la page d’un nouveau journal, comme on ouvre celle d’une nouvelle vie, mais parfois les pages nous surprennent par leurs caprices, elles nous obligent à retourner d’où l’on vient, à l’origine même de leur fabrication et de la nôtre, le bois, la nature.

Quand rien.

Il pleut. J’ai fermé les rideaux. Le dehors est trop agressif, je préfère aujourd’hui les lumières tamisées de mon salon confortable. J’ai rallumé le chauffage. Assise dans mes coussins blancs et moelleux, la saison rouge et orange fait son nid, seule, face à elle-même et les feuilles qui tombent sur le chantier de la vie.


Il existerait six émotions fondamentales: : la joie, la tristesse, la peur, la colère, la surprise et le dégoût.

J’ai toujours tourné le dos à la colère.

En fait, je ne sais pas si je l’ai refoulée, ou si tout simplement, je ne possède pas cette émotion. La colère fait peut-être partie de ces fantaisies que le monde a inventées et dont il faudrait être doté pour en faire partie. De la colère sur quoi, sur qui ?

La solitude en revanche, elle, existe. Elle existe parce que je l’ai accueillie chez moi comme une princesse. Je l’ai servie comme je servirais mes amis le jour de mon anniversaire, avec des bougies à souffler, un an de plus et un vœu pour l’année.

Un ami m’a un jour dit ces mots à brûle-pourpoint, au détour d'une discussion à propos de la tristesse et de la solitude. Ils sont tombés sur moi comme un enchantement lors d’une nuit d’étoiles filantes, une nuit rare, mais qui laisse en nous les traces de son ravissement : « Tu sais que tu ne vas pas rester seule toute ta vie. » Et j'ai compris que quoi que je pense, quelles que soient mes humeurs et mes croyances, je ne resterais pas seule toute ma vie. Qu'il est des déserts à traverser pour connaître l'origine de sa soif. Et ma peur s'est envolée.


Certains avancent sur le chemin de la vie en gommant, en raturant, en réalisant quelques modifications pour obtenir le résultat escompté, pour atteindre leurs objectifs. Je suis plutôt du genre tout ou rien, noir ou blanc. J’y vais, je fonce. Puis, je m’arrête net, comme si le pas suivant devait me faire sombrer dans une nuit opaque. Et c’est à nouveau la page blanche, et pas seulement dans le domaine de l’écriture. Il en va ainsi dans tous les pans de ma vie. Un peu comme si je passais mon existence aux portes d'un cimetière fleuri.


Tout le monde mérite d’être heureux. Et quand bien même nos expériences ont altéré notre joie de vivre, colmater les pots cassés avec l’or de notre authenticité, notre marque de fabrique réveille un jour notre volonté de partager notre présence au monde.

Dans ce vaste ciel, nous perdons parfois des plumes, mais cela ne nous empêche pas de poursuivre notre voyage. On appelle cela la ténacité, on appelle cela l’espoir. On perd quelquefois le contrôle, parfois il faut laisser tomber, et cela ressemble plus à de la bienveillance vis-à-vis de soi qu’à un échec.

On peut espérer tout en ne croyant en rien. L’espoir est instinctif, intuitif, la croyance est apprise. On pourrait considérer l’espoir comme le rêve du cœur et la croyance celui du mental. Et cette incessante conversation entre l’espoir et le rêve fait de nous de vieux enfants ou des adultes-enfants armés de courage : celui d’affronter les monstres tapis dans l’ombre, certes, mais aussi celui de se brûler à notre soleil.

Aujourd’hui, la pluie tombe dru, et il pleut pour tout le monde. Et lorsque le soleil brille, il brille pour tout le monde. Pas au même moment, pas au même endroit, mais la pluie tombe et le soleil brille.

Et puis, il est de ceux qui peinent à trouver dans les rayons pantagruéliques de la vie, les aliments qui leur apporteraient le bonheur, l'amour et la vitalité, d’autres tendent tout bonnement la main, ils savent ce qui est bon pour eux et ils se servent.


Lorsque l’on écrit dans un journal intime, on espère parfois que celui-ci mangera les mots, qu’il les grignotera jusqu’à la dernière miette, puis qu’il les digérera et qu’ils se retrouveront balayés par l’immensité de l’océan, ce monde humide qui représente 70 % de la Terre, notre maison.

J’ai vécu ce que j’ai vécu. J’ai assuré. Je n’aurais pas pu faire d’autres choix que ceux que j’ai pris, il faut rendre à César ce qui est à César. Il y a ce qui nous appartient et ce qui appartient aux autres.


Un souvenir me revient très souvent. J'ai douze ou treize ans, je suis assise sur une pelouse bien tondue, en connexion totale avec la nature. Rien n’existe et tout est là. Je me rappelle aussi une méditation qui m’a ramenée à cette joie intérieure qui m’avait désertée depuis plusieurs mois, des années peut-être. Je l’ai vue, cette joie enfantine, et je savais que si je la voyais, c’est qu’elle était toujours là.

Aujourd’hui, lorsque je pense à méditation, lorsque je pense à hier, j’ai souvent la nausée. Tout a perdu de son sens, je veux dire de ce sens que je lui donnais. Quand j’ai la nausée, je sais que j’ai encore à apprendre et peut-être à vomir. Notre pire ennemi ne nous quitte jamais, autant l’avoir à nos côtés et garder un œil sur lui.


Pour notre survie, on cherche du sens à notre souffrance, à ce que l’on considère comme des échecs, à l’avenir qui devrait se différencier du passé, à tel point que le présent s'efface sous les débris de notre soif insatiable de comprendre. Or, en effaçant le présent, on gomme le passé, le futur et notre existence tout entière.

Le bonheur n'a de sens que celui qu’on lui donne, chacun d’entre nous en a la recette unique. Et cette prétention de donner du sens à nos vies est parfois lourde à porter lorsque nous sommes à ces croisées de chemin, où tout ce que l’on connaissait, tout ce que l'on a appris s’est envolé, comme un cerf-volant dont on a lâché la ficelle. Est-ce notre faute si la main s’est ouverte ? Peut-être que ce jour-là, un oiseau dans le ciel nous a distraits pour nous ramener sur le chemin du cœur.





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